Chapitre II — La Cour des Épines

Le Palais des Aiguilles de MarOgène trônait au milieu des brumes violettes comme un mirage acéré. Construit sur des racines d’arbres pétrifiés et orné d’épines de nénuphars géants cristallisés, il imposait silence et révérence. Ce matin-là, les murs vibraient d’une tension presque invisible. La Reine Violeta Boe, souveraine de MarOgène, se préparait à recevoir un invité qu’elle ne pouvait ni ignorer… ni totalement faire confiance.

Assise sur un trône de mousse vivante et de quartz noir, elle portait sa robe de guerre — un manteau semi-transparent tissé de spores luminescentes qui ondulait à chacun de ses mouvements comme un halo de brume chaude. Ses yeux, d’un vert électrique, balayaient la salle tandis qu’autour d’elle, les Arquebufleurs d’élite gardaient les hauteurs, camouflés dans les feuillages suspendus.

L’émissaire de Dani Süden arriva à l’heure de la septième cloche d’ambre. Il était grand pour un mammifère — une belette au pelage aussi lisse qu’un tissu noble, habillé d’une tunique aux broderies chantantes. Son regard était celui d’un menteur expérimenté, mais il savait quand se taire et quand faire vibrer les mots comme un vin rare.

— Reine Violeta, dit-il en s’inclinant, je vous apporte des vents nouveaux… et peut-être, une offrande pour vos ambitions.

Elle arqua un sourcil.

— Des vents ? Ici ? Nous préférons les eaux épaisses, émissaire. Elles sont plus sincères.

Le ton était mielleux, mais les piques étaient claires. La Reine savait que Dani Süden, cité lacustre devenue commerciale, convoitait plus qu’une alliance : un accès aux canaux de MarOgène, une voie directe vers les Marécages Centraux, là où — disait-on — le Secret avait déjà laissé sa trace.

Alors le jeu commença.

Les plats furent servis : gelées acides de limules, œufs de libellules bardés d’algues mentholées, et le fameux vin de moisissure bleue, un breuvage euphorisant. L’émissaire buvait peu, observait beaucoup. La reine, elle, ne laissait rien filtrer, sauf une chose : un glissement calculé de son épaule nue, une invitation muette. Un test.

— Dites-moi, émissaire… Vos navires sillonnent les rives de Gladeen. Ils croisent parfois des renards, n’est-ce pas ?

— Oh, souvent. Rusés, agiles… dit-il avec un sourire subtil. Et loyaux à ceux qui les écoutent.

— Comme les amants ?

— Ou comme les traîtres. Tout dépend du lit et de l’oreiller.

Un instant de silence suivit. Puis la reine rit — un son qui évoquait le glissement d’un poignard dans la soie. Elle aimait ce jeu. Elle l’avait créé.

Mais dans les ombres de la Cour des Épines, tout le monde n’était pas distrait par les joutes verbales. Sur les hauteurs, une Arquebufleure du nom de Krel’Mii observait la scène, une flèche au poison lent déjà encochée. Non pas pour tirer, non. Mais pour ne pas oublier que sous les jeux de séduction et de pouvoir, une guerre se tissait. Invisible encore, mais réelle.

Car l’émissaire portait autre chose que des mots : sous sa tunique, cousu dans une doublure intérieure, se cachait un fragment de carte ancienne, où apparaissait une flèche tracée à l’encre de venin en direction d’un lieu interdit : le Cœur Brisé, au nord des Céseed Lands.

Et ça, Violeta Boe le savait déjà.

Elle attendait qu’il le propose. Qu’il glisse l’idée dans un murmure sucré, peut-être ce soir, dans l’intimité d’un bassin de brume chaude, ou au creux d’un baiser diplomatique.

Mais elle n’oublierait pas que la première morsure vient souvent des lèvres les plus douces.